Avant de vous rendre au
sommet de l'Union africaine, vous êtes venu à Davos où il a été beaucoup
question de la crise du capitalisme et de nouveaux modèles économiques. Ces
débats ont-ils un sens pour vous ?
Alpha Condé : Moi, je
suis pragmatique. Le modèle, c'est un débat intellectuel, c'est un débat de
riches. L'Afrique a des problèmes très concrets. La base de notre développement
c'est l'agriculture : il faut d'abord donner à manger. L'énergie est aussi un
problème, car sans énergie on ne peut pas développer un pays. L'éducation, la
santé, le rôle des nouvelles technologies. Donc plutôt que de parler de modèle,
j'essaie de voir des expériences, et là où elles ont réussi, quelles leçons
nous pouvons en tirer. Par exemple, je suis allé récemment au Brésil, pour voir
comment l'agriculture est organisée.
Nous, nous sommes une économie pré-industrielle. Vous, vous êtes une économie post-industrielle, financière. Nous demander de mener votre politique, ça n'a pas de sens. Par exemple, on nous dit de ne pas subventionner nos produits, mais vous savez très bien que vous subventionnez vos produits. On nous dit que l'Etat ne doit pas intervenir, mais on sait bien que pendant la crise, l'Etat est intervenu partout. Le libre jeu du marché que l'on vantait tant a abouti à la grande crise. En Afrique, nous devons essayer de mettre en commun notre politique pour l'énergie, les infrastructures, le commerce intérieur. Car pour avoir un marché assez large, il faut supprimer ces frontières. C'est pour cela que je me bats pour proposer à l'Union africaine (UA) qu'on ait au moins ces trois ministres-là. Si on a un ministre de l'énergie, on peut faire tourner un barrage. Le Congo seul n'a pas la force.
Nous, nous sommes une économie pré-industrielle. Vous, vous êtes une économie post-industrielle, financière. Nous demander de mener votre politique, ça n'a pas de sens. Par exemple, on nous dit de ne pas subventionner nos produits, mais vous savez très bien que vous subventionnez vos produits. On nous dit que l'Etat ne doit pas intervenir, mais on sait bien que pendant la crise, l'Etat est intervenu partout. Le libre jeu du marché que l'on vantait tant a abouti à la grande crise. En Afrique, nous devons essayer de mettre en commun notre politique pour l'énergie, les infrastructures, le commerce intérieur. Car pour avoir un marché assez large, il faut supprimer ces frontières. C'est pour cela que je me bats pour proposer à l'Union africaine (UA) qu'on ait au moins ces trois ministres-là. Si on a un ministre de l'énergie, on peut faire tourner un barrage. Le Congo seul n'a pas la force.
Au cours d'un débat à
Davos, vous avez dit que le changement en Afrique "dépend d'abord de ses
dirigeants". Que voulez-vous dire ?
Pour qu'on vous respecte,
il faut d'abord vous respecter vous-mêmes. Quand on dit qu'on commence un
sommet à 9 heures, il faut le commencer à 9 heures, pas à midi. Ensuite,
regardez ce qui se passe avec les chefs d'Etat à l'Union Africaine (UA).
Plusieurs d'entre nous avons pensé qu'au sommet d'Addis Abeba nous allions nous
pencher sur les problèmes concrets. Mais au lieu de les affronter, on se
retrouve plongés dans des questions de candidatures. [Les membres de
l'organisation n'ont pas réussi à élire le nouveau président de la Commission
après quatre tours de scrutin]. Nous sommes beaucoup à penser qu'il faut
changer le fonctionnement de l'UA.
Il faut donner une
nouvelle image de l'Afrique. Une des tares de l'Afrique, qu'on nous reproche
beaucoup, c'est la corruption. Il faut d'abord agir sur la gouvernance,
appliquer la transparence, et que les ressources de l'Afrique profitent
réellement aux populations africaines, particulièrement aux femmes et aux
jeunes. Renégocier les contrats miniers dans un sens gagnant-gagnant, que nos
pays en profitent mais que les contrats soient quand même attractifs pour les
sociétés minières. Que l'Afrique ne soit plus considérée comme un continent où
règnent la corruption et le sida, où les chefs d'Etat ne pensent qu'à eux.
On oublie que la
démocratie avance beaucoup en Afrique, que la population africaine est jeune et
que cette jeunesse aspire au changement, on oublie que dans le moindre petit
village, on reçoit l'information en même temps que vous, à Paris. La dictature
repose sur l'ignorance des populations. Nous pouvons utiliser les nouvelles
technologies pour accélérer l'histoire.
Pourquoi parlez-vous des
femmes, en même temps que des jeunes ?
L'économie africaine,
pour l'essentiel, repose sur les femmes. L'homme peut émigrer, laisser les
enfants, mais la femme est obligée de rester pour donner à manger aux enfants.
Ensuite, les femmes sont plus honnêtes. Quand vous donnez du micro-crédit, le
taux de remboursement chez les femmes est de 90 %. Le développement de certains
secteurs, comme l'artisanat, repose sur les femmes. Notre objectif c'est de
transformer le secteur informel productif en PME. Les femmes sont plus
honnêtes, plus sensibles, plus travailleuses, mais elles n'ont pas assez accès
au crédit.
Dans votre pays, des
élections législatives devaient être organisées six mois après votre élection,
en novembre 2010, mais elles n'ont toujours pas eu lieu. N'est-ce pas un
problème, pour un président qui veut changer l'image de l'Afrique ?
Je souhaite moi-même une
organisation rapide de ce scrutin législatif pour doter la Guinée d'une
Assemblée nationale représentative, qui s'attelle à l'examen des principales
réformes. Cela étant, ma préoccupation est d'organiser des élections
législatives crédibles, qui correspondent au souhait de tous les Guinéens de
voir s'exprimer le suffrage universel, de manière totalement libre. Ce n'est
pas l'exécutif qui organise l'élection, mais la Commission électorale nationale
indépendante, composée des représentants de tous les partis politiques. Si le
scrutin n'a pas encore été organisé, c'est parce qu'il faut aménager le fichier
électoral, de manière à permettre aux Guinéens exclus jusque là du droit de
vote d'être dotés d'une carte d'identité et d'une carte d'électeur hautement
sécurisées. Il s'agit d'une opération de révision des listes électorales et non
pas d'un recensement général, comme certains le prétendent. Sur toutes ces
questions électorales, mon objectif est d'aboutir à un consensus national qui
passe entre autres, par un dialogue politique avec l'opposition qui est en
cours. Personne n'est plus pressé que moi d'aller aux élections législatives.
Propos recueillis par Sylvie Kauffmann
Propos recueillis par Sylvie Kauffmann
LEMONDE.FR
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